Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et moi. Chapitre 7-From dusk till dawn

Je t’arrête de suite, si tu commences à penser qu’il y aura Salma Hayek, Clooney, Tarantino ou même Keitel dans la suite de l’histoire.

Il n’y aura pas de bar glauque, ni de vampires non plus. On est sur le GR20 et le titre évoque plutôt la future nuit fantastique qu’on va passer sur ce sentier de grand randonnée.

Une nuit en Enfer.

« T’exagères. »

Non, non, non.

On se réveille, humides, pâteux, comme un réveil post-cuite dans la jungle thaïlandaise. L’odeur de saucisson Corse en plus.

Aussi étrange que cela puisse paraître, nos chaussures portant les stigmates de la marche sentent la charcuterie.

On dit que parfois des êtres s’adaptent à l’endroit où ils se trouvent, comme un caméléon singe le milieu dans lequel il évolue. Nos chaussures, c’est pareil.

Elles sentent la Corse.

Va pas croire que la Corse ne sent que le saucisson non plus!

A notre sortie de tente, ça sent d’ailleurs la forêt, la forêt mouillée. L’orage est passé, il pleuviote toujours. Rien qui ne nous empêche de partir pour une nouvelle étape/aventure.

Il est tôt. On dégomme les 2 plats de riz au lait, à l’orange et à la cannelle offert par le restaurant. Ci-mer.

Comme ça, le riz ayant macéré toute la nuit, j’ai plutôt le sentiment de manger un écrasé de Smecta. Ça fera le boulot.

Le Moine adresse une prière au Saint des voyageurs. Ce-dernier a dû garder son casque Beats by Dre parce que quelque chose me dit qu’il n’a pas entendu la prière ou qu’il n avait pas le temps d’exaucer le vœux du moine, oh! (moineau, t’as pigé?)

Trêve de galéjades.

On démarre sur les chapeaux de semelle.

On trouve la variante comme nous l’a expliqué le patron du restaurant.

Suivons la marque jaune, pas celle de Blake et Mortimer, celle nous permettant de suivre le chemin évitant les crêtes impraticables.

On passe des ruisseaux, près de bâtiments militaires abandonnés.

Avec cette fine pluie et cette brume, on peut penser que le fort militaire est à l’abandon suite a une histoire sordide, d’expériences inavouables. Un peu le décor parfait pour que se déroule l’action d’Outlast 3 , le jeu vidéo, parce que le 2 va sortir.

Avec du soleil ça aurait plus de charme mais moins de gueule.

Comment vont les troupes?

-L’Ami est guilleret, ses genoux vont bien.

-Le Kid est chaud patate, sa petite maladie naissante va bien.

-Le Moine est opérationnel, sa foi va bien.

Et moi? Ça va très bien merci.

Et toi qu’est ce que tu racontes?

« Moi, ça va, j’ai faim, comme d’hab, mais ça va. Je suis optimiste, pour reprendre Goldman, je pense que le plus beau reste à venir. »

Après un petit bout de chemin entouré par la nature, on rejoint une route, traversant un village, puis un sentier pavé de gros cailloux blancs.

Ça grimpe sur un faux plat un peu emmerdant puisque glissant, mais on a connu pire.

Après un joli pont, on regarde le ciel. Il nous regarde et comme quand tu observes un chat et que tu sais qu’il va attaquer, on sait que le ciel va nous cracher dessus.

Et pas qu’un peu.

Il vomit sa bile plus que toi, quand t’as une crise de foie.

On se prend une descente du menhir express, premier wagon, pendant 20 minutes.

Les ponchos et mon pauvre sac poubelle vert immonde ne sont pas imperméables à un tel acharnement pluviale.

Un abris!

« Ou? »

Là, juste a gauche.

On s’y abrite, laissant la pluie hydrater la terre.

D’autres randonneurs s’y sont réfugiés . Ils viennent d’en haut. Où on va. C’est pas joli à voir , nous expliquent-ils.

Je me souviens qu’une ordure a pété sous cet abris.

Bordel, une horreur, le type doit avoir une bactérie rongeuse pour lâcher une ignominie pareil.

J’ai envie d’arrêter le Gr20 tellement ça pue.

Au lieu de ça, nous partons L’Ami et moi.

La pluie semble s’être calmée.

Nous entamons une montée qui ne s’arrêtera qu’au prochain refuge.

De la forêt, des grands pins, sur notre gauche, de belles vasques, par lesquels passent une rivière, mais c’est un paysage un tantinet gâché par ce temps maussade, pour ne pas dire carrément triste comme un livre de Nicholas Sparks.

Avec un beau temps Corse, crois-moi qu’on serait en train de faire des grosses bombes dans les vasques.

Le Moine et le Kid nous ont rattrapé.

Le Moine ne souhaite plus s’arrêter, il veut monter en haut, pas en bas, doubler l’étape, ou arriver tôt pour pouvoir planter sa tente, s’il nous est impossible de continuer après le prochain refuge.

On a terminé la variante et nous sommes désormais sur le tracé officiel.

 Le Moine part devant. Puis, loin devant.

L’Ami,le Kid et moi, grimpons sur le versant d’une montagne , mélange de roche, de mousse, de flaques et de ruisseaux.

On croise un type qui descend. On dirait qu’il sort d’une soirée mousse, habillé, trempé, fatigué. Ses mots sont sans équivoques :

« Là haut, c’est l’enfer sur terre.« 

Qu’a-t-il voulu dire?

« Je sais! Je sais! Il a voulu dire que là-haut, c’est… »

Chuttt. Il verra.

On doit passer 3 ruisseaux pour continuer le chemin, mais avec la pluie qui ne cesse de tomber, ça se transforme en rivières. Trois Rivières, Canada.

On saute par dessus l’eau avec nos sacs. Pas évident. On a le sentiment d’être dans l’action d’un film. Un épisode de Man vs Wild. Bear Grylls, respect.

Pour nous, on fait un saut stylé. Pour quelqu’un qui nous regarderait, on fait une merde de saut , un truc tout pourri. Tu verras les images.

Un peu comme quand t’es petit, que tu fais un spectacle à ta famille et que tu penses faire un truc bien cool avec des moments de classe, un humour pinçant, un scénario bien pensé , alors qu’en fait, tu fais un truc tout pété, qu’emmerde tout le monde, et que ce qui retient ton grand frère de t’en coller une pour te punir d’être aussi pitoyable, de faire honte a l’art, et de lui faire perdre son temps, c’est que s’il te touche, il s’en prendra une derrière. En réalité même ton père a envie de t’en mettre une.

Et ouais, tu pensais pas que tes vieux sketchs d’enfant plaisaient vraiment?

On saute donc 3 rivières.

Bon il y a un risque quand même.

On loupe notre saut, on tombe dans la rivière, on est emporté, on ressent ce qu’on ressenti Jack et Rose dans l’Atlantique dans un premier temps. Dans un second; on fait le torrent sauvage de Center Park, revêtement coupant sur 10 km, avec des roches qui te gratteront rugueusement (De manière rugueuse) le corps tout le long. Ne convient pas aux enfants de moins de 12 ans.

Ça monte toujours. Les forces nous manquent.

Sous un gros rocher, une sorte de dolmen sans Ingrid Chauvin, on reprend des forces.

« Une banane séchée pour monsieur! »

Je ne regarde même pas ce que les autres mangent pour ne pas leur sauter dessus. Quoique je ne suis pas sûr qu’ils mangent des tagliatelles de courgettes non plus.

Plus on monte, plus il fait froid. Plus il fait froid, plus il pleut. Plus il pleut, plus il y a de la brume. Plus Il y a de la brume, plus ce temps commence à me courir sur le haricot.

Je suis en tête parce que j’en ai marre. La montée semble interminable.

J’arrive à me projeter dans Le Seigneurs des Anneaux réalisé par un Écossais en Écosse.

Il fait presque sombre tellement c’est brumeux.

Je vois le refuge. Celui de Petra Piana.

J’ai la texture de Bob l’éponge.

Un corps est composé de 70% à 60% d’eau, un truc comme ça, je suis actuellement composé de 340% d’eau. Je fais 34 kg de plus.

Il fait froid. Il est tôt. A peine 13h. On peut doubler les étapes.

Merde, il fait vraiment froid.

« Genre? »

Genre je pense qu’on s’approche des 0 degrés Celsius.

Il y a un monde au refuge! Popopopo! Le chameau ! (Christian Jean-Pierre)

La cuisine doit avoir la capacité pour accueillir 25 personnes, il y en a 70.

On nous prévient que plusieurs groupes arrivent. Certains sont très mal en point. Beaucoup viennent du Nord, là ou nous allons.

On retrouve le Moine, tranquille.

On décide de se faire a manger, tant bien que mal.

Le nombre de personnes augmente à vue d’œil. J’ai l’impression d’être dans la queue à Disneyland.

« Et une nouille, saveur j’m’en fous, c’est juste pour te nourrir, pour la 4! »

Je mange mes nouilles adossé au kid.

On propose à manger a un tchèque en hypothermie. Il tremble.

Une femme, la quarantaine est en pleurs. Deux hommes bien gaillards, pleurent aussi a chaudes larmes. Une jeune fille canadienne sanglote bruyamment. Certains guides semblent dépassés, un couple tremblant entre transis de froid.

Certains décident d’abandonner, d’autres se font évacuer… Comme ce pauvre vieux qui semble sortie tout droit du film Everest.

Ohohoh! Que se passe-t-il?

Je m’en vais te le dire: Sur l’étape d’après, dans notre sens, sud-nord, assez technique, le froid, la pluie, le vent, la neige (la neige???) ont bloqué, forcé des personnes à faire demi tour après 3h de marche, ne voulant pas risqué leur vie, ne pouvant plus avancer.

Dans l’autre sens, nord-sud,  il est impossible de continuer. Neige+glace+froid+brume= Tu t’arrêtes.

Tout le monde se retrouve donc bloqué ici.

Pas besoin d’être une bête en maths pour comprendre. Il y a trop de gens pour le nombre de places dans le refuge. Plus de 100 personnes, une vingtaine de place.

Va-t-il y avoir assez de tentes?

Je fonce en chercher une avec le kid.

La canadienne toujours en larmes est prêt du feu de cheminée de la salle appartenant au boss du refuge, vivante? Oui, mais pas bien.

On nous sort une tente de derrière les fagots,  senteur roche de cave. Ça fera l’affaire.

Le Kid et moi installons la tente sous la tempête, près de celle du Moine, déjà installée.

Un calvaire. Mais bon, je peux pas être plus mouillé que là. Un verre d’eau dans la mer, pas très grave.

Je dormirai avec l’Ami dans la tente, le Moine avec le Kid. Les quatre derniers mots résonnent Bizarrement, non?

Retour au refuge. Il y a trop de monde dedans. Le chef instaure un roulement. Ceux qui ont mangé doivent sortir du refuge.

Comme il est impossible d’aller ailleurs que dans les tentes, bah… Nous y allons. Il est 16 heures.

J’envie mes 3 copains, avec leurs ponchos, leurs pantalons ou leur vestes sèches. Je n’ai pas de pantalon et la veste imperméable que j’avais ne l’est plus.

Pour résumer l’intégralité de mes affaires est mouillé, duvet et slip inclus. Je mets pas de slip.

« Tout ? »

Tout. Sauf mes clopes et des piles dans un sachet fraîcheur de chez Albal.

Ça n’empêche pas mon pote et moi de refaire le monde, de discuter, de passer du bon temps dans la tente jusqu’au dîner, comme si on campait dans le jardin de nos parents étant plus jeunes, tranquilles.

J’en avais presque oublié que j’étais déguisé en Bébé dans Dirty Dancing, quand elle est dans l’eau hein?

Presque, parce que je commence à trembler.

La nuit tombe, le froid s’abat sur nous, comme une avalanche sans neige, jusque sa fraîcheur.

Après un repas sans saveur, nouilles et ma dernière boite de filet de maquereaux, retour a la tente.

Je regarde une série. J’ai beaucoup de mal, mes mains tremblent, mon corps est glacé comme un Cornetto, je n’arrive pas à me réchauffer.

Je suis dans mon duvet, mouillé aussi. Je mangerai bien une raclette.

La couverture de survie ne fait pas plus que son nom. Elle me permet de survivre.

Dehors, le sol est glacé, avec de la glace. Le vent souffle fort. On a attend les 0°C.

Je tremble depuis quelques heures, c’est très chiant.

Comme j’ai envie de finir le GR20 et accessoirement ne pas y passer cette nuit,  je n’en ai plus rien a foutre, je réveille mon pote. Et lui dis: « On va se mettre en cuillère. »

Je ne lui dis pas sensuellement.

Je lui dis stoïquement, en tremblant un peu.

Nous faisons l’amour jusqu’au petit matin.

En vrai, cette nuit blanche que je qualifierais de noire, fait partie du Top 10 des pires nuits de ma vie, pas loin derrière les 2 nuits pendant 50h dans une sorte de soute contre le moteur d’un bus ,à la bien!

Je suis le premier debout, en ne dormant pas, c’est facile.

J’ai abandonné l’idée de dormir et je me prépare mentalement pour la journée qui arrive, en fumant quelques cigarettes.

« T’es vraiment con. »

Pas de petit dej’?

Non, je veux juste en découdre avec le GR20.

Je regarde l’horizon. Il commence a s’illuminer. Il ne pleut plus, il n’y a pas de vent. Il fait doux.

Je ne tremble plus.

From dusk till dawn.

Je me rappelle de ce qu’avait dit le Devin dans Astérix et le coup du menhir: « Après la pluie, le beau temps. »

Mes compagnons se lèvent. (Lève toi et danse avec la vie.)

Je te rappelle le topo: Blague, rire, fin de chapitre.

Que s’est-il passé avant? Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et Moi. Chapitre 6 (Didier) Des chants, du beau temps

Après? Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et moi. Chapitre 8 – Shoot de vitamine D

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