Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et moi. Chapitre 11 mais aussi le 12 – Finissons ce que nous avons commencé. « Par la force de notre Mental ancestral!»

Bordel! (Quand on arrive sur la piste…)

Mon réveil sonne.

Le son de Born to be alive version longue de Patrick Hernandez agit sur moi comme un électrochoc. Je me lève et commence à entamer quelques petits pas de danse dont j’ai le secret. Un deux, trois, quatre, petit tour sur moi-même, maîtrisé, j’avance vers la porte d’entrée en claquant des doigts et en faisant des clins d’œil au rythme de mes pas, gracieux et dynamiques. Bruno Vandelli.

Bien sûr que non!

En vrai, le son de harpe de mon téléphone m’énerve tellement que je l’attrape, le lance en l’air comme un tennis man et je lui balance un cachou de forain à la Steven Gerard (Au revoir, légende va!). Poteau rentrant! Le téléphone est à terre, je lui saute dessus et le roue de coups en lui crachant : » Ferme la, son de l’enfer! Je m’en cogne du GR20, de ses sentiers, de sa beauté! Je veux juste qu’on me laisse,  laisse moi dormir par pitié, je suis cinglé au réveil ! » Et je l’achève en retirant ses touches une à une à la petite cuillère en souriant et en bavant.

J’ai pensé faire ça une ou deux secondes, mais non.

Je m’assieds trempé de fatigue (Acier trempé), m’appuie sur mes jambes. Personne ne se réveille, je me rendors comme complètement bourré. Mais je ne dors que quelques minutes, jusqu’à ce que mes coudes glissent et que je tombe. Je me fait sursauter moi-même. Je m’évite ainsi un auto-double coup de genoux dans le visage.

Je suis un peu fatigué je crois. Je ne me suis jamais ré-endormi comme ça. Ah si! Une fois en cours d’histoire, pendant un truc qui ne m’intéressait pas du tout, ça parlait de République, de je-ne-sais-pas-quoi, de je ne-me-rappelle-plus.

Je réveille mes deux compagnons de chambres. Le Kid n’a absolument pas entendu mon réveil. L’Ami émerge, il a la tête dans le pâté mais un bon pâté de campagne profonde. Ses jambes ne font plus partie de son corps. Elles gisent au pied du lit comme un tartare de viande qui sentirait la souffrance et l’épuisement.

« Alors ? » Demande-je.

Ses genoux  me répondent :

« C’est mort frère, on est claqués, on bouge aps, y’a quoi ? »

Je regarde mon Ami dans les yeux, la fatalité que je lis dans son regard confirme ce que j’avais compris depuis la veille.

La nuit a été dure je pense.

Comme Sam le dirait à Frodon, je lance à mon ami :

« Je ne peux les porter eux, mais je peux vous porter vous ! »

J’attrape mon Ami et comme un sac à patates je le mets sur mon épaule.

Bah non ! T’es fou, rien que le câlin qu’on se fait m’épuise. Je ne peux pas le porter sur 3 étapes. On a 3 étapes à faire aujourd’hui, du très lourd.

Fini. Terminé. Plus d’espoir pour lui, pour ses genoux, pour nous.

Nous ne terminerons pas ensemble.

Nous ne franchirons pas cette ligne fictive si symbolique tous les deux.

Non !!!!!!!!!!!!!!

« Avance, finis nous ça. Pour toi, pour lui, pour eux. »

Je suis ton homme.

Alors, je vais plutôt parler comme Aragorn. Je me retourne et je crois apercevoir un Nain, un Elfe, des Hobbits et l’armée de mon imagination.

Je les regarde, les yeux remplis de haine, d’amour et de détermination. Je leur lance solennellement , plein de confiance: « Pour l’Ami ! »

Et je pars dans un putain de ralenti en courant, en direction, non pas des portes du Mordor, mais de la dernière journée du GR20.

Je te le dis à toi, parce que je te fais confiance, il n’y avait pas d’elfes etc… Je me suis juste retourné vers mon pote pour lui dire : « A ce soir. »

 Mais, l’émotion et la puissance du moment y étaient.

On ne prend pas de douche, on ne mange pas, on s’habille et on se tire dans la nuit noire,

« Dans la nuit noire et obscure
Obscure et sombre
Qu’Isabelle s’est cognée contre les murs
Les murs. »

On a rendez-vous avec le dépassement de nous-même et avec la fin de l’aventure.

Il fait froid, il a plu, tout est mouillé comme…

« N’y pense même pas. »

Tout est trempé comme quelque chose de trempé, genre une éponge sous l’eau.

La brume fait flipper. Je me dis même que l’on va devoir, en plus de combattre la fatigue, se taper contre des chiens possédés et autres créatures venues des ténèbres…

Le Kid et moi-même rejoignons le Moine qui nous attend comme un guide dans la nuit. Oui, il a dormi dans sa tente.Oui, il est fort. Et beau.

On va où ?

Le Kid pense que le départ de l’étape est à gauche, le Moine va à droite. Je suis déchiré comme Patrick Fiori.

Je suis le Moine. Enfin, je veux dire que je marche dans ses pas, pas que je suis lui. Enfin si! Je le suis lui. Enfin merde, dis-moi que tu as compris stp, c’est agaçant!

Il m’emmène dans la forêt et ce n’est pas celle de Sherwood. Il fait nuit, il y a du brouillard, de la froideur, une pluie bien dégueulasse.

 J’ai peur. Le Moine s’enfonce de plus en plus. Dans la forêt.

Moi non.

Je fais demi-tour. Je rejoins le Kid. Oui, il est serein. Oui il est pragmatique. Et beau.

On trouve le départ de l’étape.

On appelle le Moine en avançant et en criant.

« Moine, où es-tu? »

Pourvu que…

Il surgit de la forêt comme un type qui vivrait dans la forêt. Il a suivi son chemin, va savoir qui l’a guidé. Le Moine vient d’une autre planète.

Ce matin, on a enfilé nos costumes de gagnants, made in motivation, cousus en mental, doublure anti-abandon.

Ça commence par une côte. A cette heure, c’est une falaise! On abandonne.

Non. On lutte, on glisse, je râle.

Le Kid me regarde en souriant. Je ne voulais plus de montée, j’en prends une sévère dose au réveil.

Je pense à l’Ami et à ce que je vais manger. Je ne râle plus, je ris de la difficulté, de la pluie!

Tu vas me dire que je mens, mais en arrivant en haut, avec la lumière du matin, les montagnes et le sol semblent colorés en violet. Ça me fait penser à un monde fantastique genre le monde de Musclor, sans le Maître d’Armes et consort.

« Par le pouvoir du glaive ancestral! » Musclor, tinininininininininin!

Ça redescend.

Là, je suis ton homme, là tu me parles!

Comme si on s’était transformé en boulet de canon de Mario Kart, on dévale la pente avec une violence qui ferait flipper Vinnie Jones.

Je pense que personne n’a jeté de peaux de bananes pour nous ralentir, mais le terrain est glissant. Impressionnant!

Comme si un fripon avait aspergé la roche d’une fine couche d’huile d’olive. Marrant hein?

Ça l’est moins quand tu cours, tombes et roules dans des arbustes piquants.

Peu importe ce qui arrive quand on a la fraîcheur! Je ne mange pas de Mentos pourtant.

Peu m’importe, je tombe et me relève.

Tel le bus dans le somptueux Speed, nous sommes inarrêtables!

On croise quelques personnes dans l’autre sens. Elle doivent penser que l’on fuit quelque chose.

Non, nous poursuivons simplement notre objectif, et je t’assure qu’on va l’atteindre, comme des brutes épaisses s’il le faut!

On se fait une pause.

On s’assied face à une petite cascade, sur des rochers, on discute football, nourriture, de la vraie vie quoi!

On repart sans penser à nos corps qui aurait peut être voulu rester un peu plus au repos.

Sans tomber dans le complot, je pense très fortement que notre mental a anesthésié notre corps, je ne sais grâce à quelle stratagème.

On quitte ces grosses roches percées par un beau cours d’eau pour s’enfoncer dans la forêt , non sans passer par un petit pont suspendu. Tu t’en doutes, je passe sur ce pont, non sans sauter dessus à pieds-joints en criant : « C’est solide Docteur Jones ».

Personne autour de moi n’a compris la référence, je crois.

Après cette balade en forêt, on arrive dans un refuge, celui de Carozzu.

On a fait le tiers de la journée.

Ce refuge est l’un des plus stylés que j’ai vu.

Je me croirais presque dans le village des enfants perdus de Peter Pan. Un complexe tout en bois, caché. Ouhaaa!!!

J’aimerai m’y poser plus longtemps.

On n’a pas le temps!

Après le rechargement de nos gourdes et autres camelbaks, chose que je vais m’empresser d’acheter en rentrant, tellement c’est pratique, nous repartons.

Dernière banane séchée. Je ne la savoure pas. Terminé, je n’ai plus rien à manger.

Je tiendrai. Plus que 2 étapes, que je me dis.

Quand j’ai acheté mon pâté la veille, deux types nous ont parlé d’une variante au départ de Carozzu, plus jolie que le tracé officiel et d’une longueur temporelle similaire.

Amis de la variante, faisons cette variante !

On repasse un pont.

Le sentier est roulant, descendant, le long d’un ruisseau, donc apaisant.

Le soleil cogne, mais nous sommes à l’ombre des arbres.

Je vais même t’avouer que c’est reposant, agréable, comme le dimanche midi, après un bon repas, quand tu vas te balader dans ton parc près de ton étang.

Ah, t’as pas de parc ? Moi non plus, mais ça doit être cool.

On marche d’un pas assez rapide mais sans se fatiguer.

J’ai l’impression que c’est comme si nous avions déjà terminé le GR20 et que nous étions sereins. Comme quand t’as envie de faire pipi depuis 3 heures, que tu es en voiture et qu’il ne te reste plus que 20 minutes à attendre. En vrai, c’est long, c’est une demi mi-temps de football quand même, mais t’as l’impression que ça ne l’est plus.

Il nous reste deux étapes, ne l’oublie surtout pas!

J’ai faim comme si je venais de naître. Je vais aller attaquer un tronc et manger du bois. Je m’en fous, je ne peux plus tenir! Bah non, je vais attendre!

Notre sentier débouche sur une croisée de chemins.

On y croise un couple, avec lequel nous discutons. En balade en vélo pour la journée, il nous explique que si nous prenons ce chemin, là, celui-là, que je ne peux pas te montrer parce que je t’explique par écrit, nous serions dans un couple d’heures à Calenzana.

Calenzana, notre arrivée, notre victoire en Champions League.

En deux ou trois heures, nous serions arrivés! Tu rends compte!

Nous faisons un calcul rapide.

Pour arriver au prochain refuge, nous avons 3 heures, ensuite, la dernière étape dure selon le topoguide 5 heures.

« 5 heures !??? »

5 heures+3heures=8 heures.

Ça pique! Tu as le choix entre 3 heures ou 8 heures ?

Qu’est-ce que la victoire, l’accomplissement,  si tu choisis la facilité ? Si t’abrèges ta quête en te téléportant jusqu’à la salle du Graal, tu le mérites ?

Indi, il a galéré non ?

Qu’est-ce que je me dis si je gagne la Champions League en payant un match ou deux ou trois ou plus, pour y parvenir? #marseille93

« Oh ! »

Ah, excuse.

Pour moi, et ça n’engage que moi, la saveur de notre victoire aurait un goût aussi fade que du tofu nature avec du riz vapeur.

Ca va peut être plus te parler, c’est comme si tu terminais Aladdin sur Super Nintendo en utilisant les cheat codes… Non mais !

Je regarde le Kid, ce gros guerrier n’a pas songé une minute à prendre de raccourci. Il est même déjà en train de prendre le chemin.

Pourquoi tout le monde n’a pas été conçu à Sparte comme lui ?

Dans 300, il aurait été en première ligne, OKLM, sans stress. Je vais même aller plus loin, il aurait démonté Xerxès et ses sbires avec un bâton de réglisse.

Je vais le renommer  pour ce chapitre, le Kid s’appellera le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress.

Le Moine avec son sac de 200 kilos regarde le chemin/raccourci.

Il regarde dans son rétroviseur mental, le chemin qu’il a parcouru et ce qu’il a enduré, tempête, crêtes, parfois peu d’espoirs et d’autres choses éprouvantes pour l’humain.

Je décèle dans son regard une hésitation, comme quand t’es au régime et que ton pote t’invite chez lui, qu’il sort la carte du Jap à volonté et qu’il te dit:  » Vas y, on y va, c’est du poisson et du riz, ça ne fait pas grossir. » T’hésites à commettre un pêché. Tu cèdes souvent , hein ? Allez, dis-le, on est entre nous! Les petites brochettes bœuf-fromage, c’est bon ça, hein ? T’aimes t’en mettre plein la panse ? C’est bon la graille! T’aimes te sentir mal après le resto, hein? Avec ce sentiment malsain et agréable de honte, d’avoir cédé a cette orgie de bouffe, hein ? Mon bel ogre va !

« C’est bon, t’as fini ? »

Oui, mais j’ai faim.

Le Moine se tâte vraiment.

On passe un petit ruisseau en marchant sur des pierres à moitié sous l’eau. On voit une côte, en dur.

On croise des gens qui reviennent du refuge, celui où l’on doit aller.

On leur demande comment est le terrain pour y aller et là… C’est le choc!

Dans notre sens, c’est 3 heures de montée. Pas de plat, pas de descente, de la montée, sur du ciment, sur des graviers, sur de la terre, en ligne droite, en sentiers en serpent, mais de la montée, de la montée et de la montée.

Nom d’un zboub ! Me dis-je.

Le Moine s’assied sur un tronc d’arbre qui tombe à moitié sur le sentier, à moitié pas sur le sentier. Il nous dit : « Les gars, j’arrête, je fais demi-tour, je prends le raccourci. »

Queuoiiii???

Je suis abasourdi, comme ça, de but en blanc, ce héros des temps modernes arrête!

On marche sur la tête!

J’essaye de lui dire que c’est notre dernière lutte, le combat final, c’est le dernier boss, cette montée!

Il a pris sa décision, aussi déchirante pour moi soit-elle.

On perd 2 personnages dans un même épisode, mais c’est la deuxième saison de Games of Thrones ce GR20 en 8 jours !!!

Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress et moi, ne pouvons rien faire de plus contre la volonté du meilleur soldat de la conviction.

Nous serrons la main puissante du Moine, un petit câlin d’hommes ayant traversés un gros moment de vie ensemble et nous le quittons.

Avançons! Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress et moi.

Le Moine se lève et monte.

« Il monte ? Dans votre direction ? »

Oui, il prend le même chemin que nous, il vient avec nous!

« Bordel, mais c’est pire que les Frères Scott votre histoire !»

Le type, mon Moine a décidé qu’il venait, il s’est motivé, soudainement.

Discrètement, il s’est pris deux ou trois rails de motivation.

Non! Son mental en sécrète naturellement et abondement, tu peux me croire.

Ce type aurait pu se motiver à se taper contre des Vélociraptors dans Jurassic park à la place d’attendre le T-Rex.

Il entre aussi dans ma légende, je vais le renommer pour ce chapitre, le Moine s’appellera Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex.

On repart tous les 3, je ne nous nomme pas, parce que c’est trop long, pour ce qui va être mon Catenacciu, une véritable enflure de calvaire.

J’en sue encore, des mois après.

Je ne regarde même pas le paysage, même si je sais que nous sommes dans une forêt.

Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress, est devant moi, il me motive, me lance des : « Appuie sur la pointe de tes pieds, laisse tes talons tranquilles ! » Pédagogue va ! Motivateur va !

J’essaye de l’écouter, mais pendant ces longues heures de montée, je n’entends que mes biceps qui se contractent quand je pousse sur mes bâtons de randonnées.

Je remercie mon oncle et ma tante de me les avoir offert la veille du départ.

Je m’insulte de ne pas avoir eu plus de bouffe.

Je ne me sers plus de mes jambes, seuls mes bras bossent, comme si j’étais un échassier mais sur les bras.

Tu vas dire que j’exagère mais j’ai même l’impression que je traîne mes jambes comme  si elles n’étaient pas à moi.

Je te l’accorde, j’exagère mais je t’assure qu’après ce GR20, après la sur-utilisation de mes bras, j’ai pris plus de pecs qu’en 3 semaines de muscu.

Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex et Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress, me distancent un peu. Mais j’entends encore leurs voix, qui crient des choses comme : « Allez ! C’est la dernière ! »

Bon, j’entends aussi des grognements de lutte, des « putains » et autres doux mots témoignant de la difficulté et de l’effort fourni.

Allez ! Merde ! La dernière, l’ultime vraie montée. Je te jure que c’est ce que je me dis.

Je regrette encore plus de n’avoir rien dans le ventre depuis hier. J’ai la force d’un enfant de 11 mois. A ce moment, même mes ongles de pieds me semblent lourds.

Le mental : Mental est un adjectif et un nom renvoyant au substantif mentalité, entre autres. Requis dans de nombreux sports ( notamment dans la gymnastique ), il permet d’accomplir de nombreux exploits.

Ah ok ! Je comprends vraiment ce que c’est, en ce moment. Dans la définition, ils auraient pu ajouter : Pour accomplir un exploit personnel, le mental est primordial à au moins 50%.

La forêt commence à se désépaissir, la côte devient plus plate, une grande plaine apparaît.

A quelques centaines de mètres j’aperçois une maison, un refuge, celui de l’Ortu di u Piobbu.

Cela signifie qu’on a terminé cette étape et qu’il n’en reste plus qu’une.

Une.

L’ultime étape, la dernière ligne droite, le sprint final, celui ou l’on doit tout donner, celui pendant lequel je pense que mon mental va traîner, va tracter mes 80 kilos.

Au refuge, le plateau qui s’étale devant ce dernier est assez vide, sans trop d’arbres quoi.

Il n’y en a pas vraiment, mais il y a des petits buissons épineux. Leurs couleurs, allant du vert sombre à plus clair, contrastent avec les grosses roches grises et blanches jonchant le sol.

La vue est relativement splendide, puisqu’elle donne sur des gorges, des falaises assez abruptes. Genre un grand canyon humide.

Bas, très bas, des arbres fins et sombres remontent assez haut pour qu’on puisse observer leurs cimes. C’est là qu’on va aller! D’accord?

Au loin, de gros nuages arrivent tout doucement vers nous, s’infiltrant dans les gorges comme Solid Snake s’infiltrerait dans un supermarché, surement et facilement.

Des orages sont prévus cette après-midi. Étonnant…

Un gros groupe d’ados (Prso, Monaco, la belle époque.) Allemands est posé, peinard et discute, dans sa si douce langue. J’ai l’impression d’être à un concert de Rammstein. J’adore Rammstein.

On regarde l’heure. Il est bientôt 15 heures.

On regarde maintenant le panneau en bois indiquant le temps de notre dernière étape.

Notre moral se prend 2 doigts dans les yeux et ça fait mal. 5 heures de marche. 5 heures!

Le topo guide indique la même chose. Une personne qu’on croise, nous indique même 6 heures.

Nom de Zeus ! Si t’es doué en calcul, et je suis sûr que tu l’es, ça nous amène à 20 heures à Calenzana… 20 heures, c’est l’heure du journal de TF1 et à l’heure du journal, il fait bien nuit.

Les prévisions météos semblent justes, chanceux que nous sommes, puisqu’il commence à pleuvoir.

Orages et nuit ne font pas forcément bon ménage sur un sentier de randonnée comme le GR20…

Que fait-on ? On reste ici pour dorm… NONNNNNN ! N’y pense pas!

On va prendre le risque de partir maintenant et on va mettre une bourre comme jamais t’as vu. Pire que toi le jour de ton bac, lorsque tu t’es réveillé 15 minutes après le début de l’épreuve. Ça t’es pas arrivé ? Moi si. Et bah, je vais courir plus vite que ce jour là!

La seule pause qu’on s’accorde à ce refuge, c’est la recharge de notre eau. On n’a pas le temps mon pote!

Même ma cigarette je la roule et la fume en marchant vite.

« Eh, c’est de ta faute si tu fumes, imbécile ! »

Oui, et celle-ci je peux te dire qu’à jeun, après l’effort, pendant un autre effort, elle me met mal comme si un enfant de 2 ans prenait un bang vraiment chargé.

Je suis dans un monde parallèle, j’ai l’impression de faire 700 kilos. Tu t’en fous apparemment et tu as raison.

La pluie se fait plus forteL’orage commence à gronder et son écho se répercute dans les gorges faisant presque vibrer les parois rocheuses.

Je me dis qu’on va prendre cher.

J’ai faim, je vais croquer dans un rocher. Non, je pense que ça ferait trop mal aux dents.

On court, direction l’orage et les falaises. J’ai l’impression d’être dans le dernier Mad Max, quand ils foncent dans la tempête, sans le sable.

On croise un couple qui vient de Calenzana, avec un cocker. Un cocker tout mignon qui a la pêche! Nom d’un chien! Si un cocker peut faire l’étape à l’aise, je peux le faire, pas à l’aise, mais je peux le faire aussi.

T’en doutes ? Moi non.

On court, et crois- moi, on rentre dans les nuages, comme si on se jetait dans la gueule du loup.

Ça ne t’es jamais arrivé à la montagne d’être au dessus des nuages ? Et bah, on était au-dessus et maintenant on est dedans.

On ne distingue plus grand-chose dans cette brume. Comme le sentier est vraiment bien balisé, on voit quand même les marques rouges et blanches du GR20, mais pas grand-chose autour.

Je distingue du gazon, des roches, des pieds d’arbres. Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex, est devant moi et Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress, derrière moi.

Le sol et les roches sont aussi glissants que si t’essayais de courir dans le tobogan le plus pentu de Center Parcs. Je glisse plus d’une fois, je ne vois pas si mes potes tombent également. Probablement.

Les coups de tonnerre sont là, mais nous ne voyons pas d’éclairs. Normal, avec cette brume. C’est comme avancer dans une gigantesque salle remplie de coton pas trop épais.

J’ai l’impression que l’orage nous guette du dessus, comme une épée de Damoclès qui serait à deux doigts de nous balancer un petit coup, comme ça juste pour le délire.

Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress me dit : « Mais attends, regarde, ce sont des arbres, on est dans une forêt ! » On se rend alors compte qu’il y a tellement de brume, qu’on ne distingue qu’à 2 ou 3 mètres autour de nous. C’est fou non?

On continue de courir. Parfois je cours devant, parfois c’est Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex qui est en première ligne.

A un moment, dans une plaine où le gazon au sol est aussi épais qu’une moquette épaisse de chez Saint-Maclou, j’ai vraiment le sentiment de suivre un sorcier ou un druide. Avec sa cape de pluie et ses bâtons, Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex m’a tout l’air d’être le portrait craché de Dumbledore jeune, qui gambaderait dans des contrées verdoyantes et brumeuses des Royaume-Unis. Je vis des moments filmiques.

La réalité, c’est qu’à force de courir comme des dératés, on sort de la brume et on descend en altitude presqu’aussi vite que si on avait des skis.

On court toujours, j’ai l’impression d’être dans une publicité pour Nike.

Ça y est, on est sous les nuages, dans un paysage ressemblant à une forêt de région parisienne. Si si, je t’assure ! Y’a tous les paysages ici. Tous!

On arrête de courir, on s’assied sur le bord du sentier.

On fait une pause. Je mange de l’air et bois de l’eau puisque je n’ai plus que ça.

Je me rends encore plus compte que je suis affamé, comme Goku après un entrainement.

Je pense que j’aurai du manger plus souvent. Non?

Le Putain de mec qui aurait été en première ligne dans 300, sans reculer, sans stress me balance une barre protéinée, après en avoir mangé une. Il me dit qu’il n’en aura plus besoin.

Je ne la mange pas.

« Encore tes défis ? »

Exactement. Je me dis que je la mangerai une fois le GR20 terminé. Aujourd’hui, elle est encore chez moi.

Je veux en baver jusqu’au bout. Je veux voir où sont mes limites.

Comme pour chercher du réconfort, mes potes font une pause réseaux sociaux. J’aurai bien aimé faire de même, mais le forfait de crevard que j’ai, ne me le permet pas.

Je regarde mes mollets.

Je suis impressionné, car j’ai les plus beaux mollets de l’Ouest.

Non, je suis impressionné car je ne les ai jamais vu comme ça, même après de longs trails.

J’ai des mollets de Mangas. Genre ceux de Broly. Ils sont sur-gonflés avec veines apparentes et toutes options.

Je les touche. Ils sont tellement durs que je me casse un ongle et me déboîte deux phalanges.

Je regarde mes frères de randonnée et… Nom d’une musculature ! J’ai l’impression d’être à un défilé de culturistes spécialisé dans les jambes tremblantes après un effort surhumain.

On se relève. Comme la balle à la sortie d’un flingue, on démarre… Bah comme des balles !

Tellement notre course est rapide, notre angle de vision se réduit! A tel point qu’on ne distingue plus grand chose autour de nous, si, des arbres, de la végétation, de la terre et… Je ne me souviens plus.

Ah si, on croise un type qui monte et qui porte des chaussettes-chaussures, t’sais, où tu vois les doigts de pied. Soit, c’est un homme de la forêt, soit il vient de commencer et je ne donne pas cher de sa peau, s’il a prévu de terminer la randonnée ainsi vêtu. On ne le saura pas. Tu peux faire des recherches si tu veux.

Que devient l’Ami ?

Je n’en ai aucune idée. J’imagine qu’il est mieux qu’ici, j’aurais souhaité qu’il soit ici.

Saguouin de genoux !

On ralenti, au fur et à mesure que notre endurance diminue et que les forces, qu’on a laissé au combat, nous abandonnent, en douce. On ralenti jusqu’à un point de vue.

On espère y apercevoir bientôt une ville, la ville.

On sait que quand on verra Calenzana, il nous restera 10 km. 10 km, c’est long quand t’en a fait 180

On ne voit toujours pas de ville. Je regarde la batterie restante sur nos corps.

On n’en a malheureusement plus assez pour courir. D’ailleurs, la jauge indique quelque chose comme 2%… On commence à traîner des pattes.

Merde, on se transforme en Walkers à notre tour ?!

Non!

Nous devons combattre notre fatigue ! Nous devons le finir ! On se reposera quand on…

Par tous les Saints !!!! Est-ce un village ou un mirage, qu’une potentielle hypoglycémie combinée à une possible douzaine de fractures de fatigue couplée à un burnout randonesque, qui apparaît au loin ?

Je me pince pour savoir si tout ça est bien réel ou si je suis dans la Matrice Corse.

Comme je ne sens pas le pincement, parce que mon corps est totalement atrophié, je me mets des patates dans le nez.

Je ne rêve pas, c’est Calenzana. La belle Calenzana. Notre happy end !

Je ne connais cette ville qu’à travers des photos, des écrits, notamment grâce à un des meilleurs livres de la planète, sans chauvinisme aucun, Le Corse de Paul-Claude Innocenzi et Jean Bazal. Il est dans mon panthéon avec Le livre sans nom d’un anonyme et Le Seigneur des Anneaux de John Ronald Reuel Tolkien. T’en fous? Lis les on en discutera après.

Bref. Calenzana est là, à portée de main. Enfin, des grosses mains immense de géant de 10 km, mais la ligne d’arrivée semble plus proche que jamais.

« Techniquement, c’est le cas. »

Ouais mais en fait, c’est un peu loin

Nous regardons l’heure. Si nous pouvions trouver la force de ne pas ramper, de marcher plus vite que 2 km/heure, nous terminerions cette étape en moins de 3 heures, au lieu de 5 ou 6…

Je pense que nous avons laissé nos forces et notre mental couler pendant notre folle descente…

Nous avons du mal à marcher, ces 10 bornes vont être une ignominie.

Nous avançons comme si nous n’avions plus de but, comme si nous étions dépités, comme si nous savions que la fatalité avait gagné, qu’elle avait percé la dernière poche de motivation de notre corps et qu’elle l’avait laissé se répandre lentement sur le long sentier Corse jusqu’à la dernière goutte.

Le mental en titane solide ne coule pas.

Comme Dicaprio dans Inception,  je vais me chercher moi-même très loin dans mon inconscient, dans les profondes  limbes dans lesquelles j’errais…  Je me trouve. Je me ressaisis, je relève la tête. #Jeanclaudevandamme

Je me vois dans l’obligation d’utiliser l’attaque universelle. J’invoque les cinq éléments de la vie et ne me demande pas comment, je trouve une motivation qui se diffuse dans tout mon corps, à la manière de la potion magique d’Astérix.

Impressionnant, impressionné?

Je suis tellement motivé que même ma barbe et mes cheveux retrouvent de l’éclat, comme si j’étais passé chez Jean-Claude Biguinne en faisant un soin à 350€.

J’te jure, je commence à accélérer comme si je débutais le GR20.

Je vais peut-être aller trop loin, mais s’il y avait eu Morpheus et Trinity près de moi, ils se seraient probablement dit : « C’est l’Elu ! »

« Tu te la racontes . Tu vas trop loin.»

Non, mais j’essaye de te retranscrire ce que je ressens sur le moment, et j’ai l’impression que mon âme brille comme  les montagnes Corses au matin ,tellement je suis motivé !

Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex ira même jusqu’à dire que je me suis transformé en Iron Man, sur cette portion, et qu’il ne m’a pas reconnu.

Les montées, les descentes, je n’en ai que faire.

Et oui! Je vais le faire ce GR20, je n’ai plus de doutes, je n’ai plus mal, je ne me plains pas, j’avance vers l’arrivée en bouffant des mètres avec la démarche d’un robot. Pas Genre Wall-E!

Dans ma tête, je suis le Terminator, ramène moi le T1000, je le plie.

Plus on avance, mieux je me sens, j’ai l’impression que je pourrai distancer Bolt sur un cent mètres, avec une paire de Timberland.

« C’est trop. »

Le paysage défile. De la terre plus claire borde le sentier, des arbres vert ont poussé de façon plus rapprochée, le dénivelé devient presque neutre, j’ai même l’impression de sentir le vent de la mer.

« Impossible. »

J’ai rangé mes bâtons de randos. Je n’en ai plus besoin. Ma forme est bien plus grande que tout ce qui m’entoure.

« Laisse-nous rire. »

A cet instant, mets moi une montagne en feu à escalader, j’en rigolerais, je la sauterais en Fosbury, en faisant le signe de la victoire pour les photographes.

« … »

On a torché cinq kilomètres comme t’enchaînais Before-soirée-after-breakfast-barbecue du week-end, il y a 10 ans.

Je suis toujours à l’avant de notre troupe de 3, aussi chaud que Makélélé avant France-Brésil en 2006.

Que m’arrive-t-il ? Mais je suis trop en feu ! Je me fais peur ! Non d’un Lance-roquettes ! Ramène qui tu veux, une armée, je la déboîte comme Schwarzy dans Commando !

Je suis le Baba-Yaga ! Je tabasse tout le monde sur ces derniers kilomètres! Vas-y balance moi ton arme secrète, je l’annihile!

 « Mike Horn ? »

Euh… Non… N’exagère pas. Je suis bouillant mais, pardon Mike Horn, Bear Grylls, Rick Grimes et Liam Neeson.

Le sentier ressemble de plus en plus à un sentier de sortie ou d’entrée d’agglomération.

Des murets de pierres le bordent, la nature est moins sauvage, la main de l’homme l’a plus tripoté que le reste du parcours.

Je sens la bouffe, la faim et la fin.

Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex me demande de ralentir.

A ce moment je ne l’écoute pas, je continue d’avancer. Pas parce-que je suis têtu ou con ou quoi ou qu’est-ce, mais parce que je suis réaliste.

Si je m’arrête ou ralenti trop, j’ai peur de ne pas repartir, ou de finir à genoux.

Comme quand tu te retiens de boire pour rester bogosse en soirée, et qu’à un moment, tu craques. Tu le sais que c’est terminé pour toi, pour le contrôle de ton image, pour la suite de ta soirée, pour les gens autour de toi. Bah là, c’est pareil!

Je crois apercevoir une grille et l’entrée d’un village pittoresque !

On y est.

Je ne touche plus le sol, je vole tranquillement comme un vampire vers ma proie, ma délivrance.

Le Putain d’homme qui est capable de se taper contre des vélociraptors à la place d’attendre le T-Rex m’interpelle encore une fois et me dit : « Tu vas pas franchir la ligne d’arrivée seul?! »

J’m’en cogne de vous, que je lui dis. Je lui jette ma chaussure, un de mes bâtons en l’insultant de bougre de con! Je crache dans sa direction, je pars en sprint, passe la ligne d’arrivée seul et rentre chez moi. Je ne les reverrai pas.

Bah non ce n’est pas vrai ! Cette ligne fictive,  la franchir seul ? Psss! Rien à foutre. Je ne veux la franchir qu’avec mes frères d’armes, ces putains de héros, à mon échelle.

J’ai aussi porté avec moi, sur mon cœur depuis 3 étapes, l’âme de mon pauvre Ami.

Il va franchir l’arrivée avec nous, même si j’aurais aimé qu’on la franchisse bras dessus bras dessous.

Pour nous, il était avec nous. On l’a fait à deux, puis à quatre.

Marche aussi à mes côté ma fierté et notre courage. Mais je ne vais pas t’en parler plus que ça, je te connais, tu vas me dire que je me la raconte, que j’en fais trop, que le GR20 y’a pire, blabla. Ce à quoi je te répondrai qu’on a chacun son combat, chacun son aventure, chacun sa quête. Après on va s’embrouiller et…

« Félicitations. »

Merci.

Je ralenti, on marche au même niveau, à la même vitesse, la vitesse sereine de la Victoire.

On franchit l’arrivée au même moment, une équipe. Comme Yoda et compagnie dans Star Wars, l’hologramme de l’Ami est là, il a même la toge du Jedi.

J’observe le Kid (J’arrête les longs noms, c’est lourd à écrire.), qui, ni vu, ni connu je t’embrouille, essaye de mettre en avant son doigt de pied pour franchir la ligne avant nous. Oh que non! Je lui mets un coup de bâton de toutes mes forces dans le gros orteil, en criant: « Renégat! » Ça lui fait sauter l’ongle, ça ricoche et sblah! Un coup dans le sternum du Moine qui n’arrive plus à respirer et moi je…

« Arrête stp, termine. »

On franchit cette ligne ensemble.

Un vieux monsieur Corse, mais vraiment vieux, qui se balade, nous le confirme, en nous disant : « Bienvenue à Calenzana. »

Ça y est on l’a fait en 8 jours.

« Pleurs ? Cris de joie ? Accolades ? »

Que dalle.

« ? »

Jean-Jacques Goldman disait qu’il y a des douleurs qui ne pleurent qu’à l’intérieur, je pense qu’il y a aussi des bonheurs qui n’explosent qu’à l’intérieur.

Ou alors, je ne suis pas expressif. Je te l’accorde, Je me suis connu plus dingue, France 98, l’Euro 2000, la demi-finale de l’Euro 2016, l’US Quevilly en coupe de France, la finale de Top Chef en 2013, le final de Warriors, j’en passe et des meilleurs.

Je crois que quand je me sens capable de faire un truc et que je le fais, bah je n’arrive plus tout à fait à cerner la mesure de ce que j’ai accompli.

« Détends-toi frère, c’est juste un sentier de grande randonnée. »

On se tape dans la main, le Moine nous remercie, puis on se remercie tous.

Je pense que certains sentiments d’accomplissement sont difficilement palpables. Tu ne comprends le ressenti uniquement quand c’est toi qui le vis.

Et puis chacun sa sensibilité, merde !

Je suis content. Point.

J’ai faim.

Peut-être aurait ce changer la donne si l’Ami était là ? Plus de joie, peut-être? Aucune idée.

Le Moine remercie Dieu. Le Kid est souriant et touche le sol à la manière d’un footballeur qui entre sur un terrain.

Et moi ? J’envoie un message à ma copine: « Je l’ai fait. »

 C’est celle qui comprend peut-être au mieux ce que je ressens sur le moment.

« T’as une meuf  frère? »

Tkt.

J’appelle l’Ami, il est en route vers Calenzana. Je sens dans sa voix, le grain amer de sa déception.

Rendez-vous à l’auberge dans laquelle nous dormirons.

Epilogue, s’il en est un

Je te passe le dernier kilomètre de marche jusqu’au rendez-vous. Même si j’ai envie de t’en parler parce qu’on est passé devant des restaurants et que j’ai eu la force mentale de ne pas les braquer avec mes bâtons : « Donnez moi tous vos champignons et votre fromage ! »

« T’es en Corse, ne fais pas le malin. »

L’Ami arrive et c’est un ami abattu que je retrouve. Sa journée à lui, a été un calvaire physique mais surtout psychologique, un combat contre la douleur venant de ses genoux, mais aussi de son cœur lourd de « Et si… » et de « pourquoi ».

Tu le sais, on l’a fait ENSEMBLE.

On discute tous les 4, comme si nous n’avions pas 180 km dans le buffet.

En parlant de buffet, et ça, c’est ma véritable récompense, on va aller manger et pas des bananes sêchées dégueulasses, des amandes et autres pâtes de fruits, dont je ne veux plus entendre parler.

On va manger dans un restaurant Corse.

Au nom de la graille!

Liptonic fraise, je sais, je sais me faire plaisir, assiette de charcuterie, pâtes au vieux fromage et Panna Cotta speculos me rappellent l’homme que je suis vraiment.

Là-dessus je suis dans les meilleurs, là-dessus ramène moi qui tu veux, Gargentua ? Goku ?La Montagne ? Je les couche aux appetizers. Je suis comme les chiens, pas de sentiment de satiété.

Les portions sont copieuses, je suis bien, je termine mon assiette, la nettoie avec du pain. Je termine l’assiette de pâtes au vieux fromage du Moine, je suis content, je nettoie avec du pain. Je termine l’assiette de l’Ami, pâte à la carbonara, je nettoie, je suis très content. Je termine l’assiette de carbonara du Kid, je nettoie au pain, je suis hyper content. Comme Simon quand il est hyper content je pourrai vomir mais non, je termine le dessert de je ne sais plus lequel de mes compagnons.

On frôle le bonheur en termes de soirée, à la télévision, en terrasse, un match de foot.

On atteint la perfection lorsque les musiciens du restaurant m’achèvent en entamant une des mes chansons Corses préférée, Ricordu, à la guitare.

Merci la Corse.

Épilogue de l’épilogue 

Je considère tout ça comme un succès.

Quand je me regarde dans le miroir à l’auberge, je vois les 5 kg perdus en 8 jours et je vois mes pieds.

Mes ampoules sont magnifiques dans la mocheté. Elles sont balèzes comme des litchis lisses, mais elles m’impressionnent moins que le gonflement de mes pieds.

En effet, en plus d’avoir des panards de Hobbit avec une voûte plantaire en cuir, j’ai les pieds qui ont enflé à un point! Je faisais du 42, je dois bien faire du 49 maintenant. Mieux, j’ai un pied moyen à la place de chaque orteil. C’est malin, je vais devoir acheter 6 paires de chaussures pour marcher serein.

Mais quels pieds!

Je te passe le sommeil d’après repas, la journée « normale » du lendemain et tout le trajet retour. Je te passe aussi le fait que je me sois endormi dans le canapé à 23h le soir où je suis rentré chez moi et j’abrège aussi le rôti de ma copine que j’ai mangé entier comme si c’était une saucisse. Je parle de viande. Uniquement.

« Si c’était à refaire ? »

Je le referais.

« Tout pareil ? »

Tout pareil, allez peut-être que je prendrai le double de bananes séchées, d’amandes et une paire de genoux de rechange pour mon pote.

D’ailleurs, je pense le refaire l’été prochain, en moins de temps et peut-être seul. Je t’épargnerai les longs récits, ok ?

« Ok. »

Quand j’y repense c’était un putain de grand moment!

C’est pour ça que j’ai aimé la partager.

Il y avait tout ce que j’aime, de l’action, de la tension, du frisson, de l’humour, de la tendresse, de l’amitié, de la déception, de la joie, de l’émotion, du cul.

« Du cul ? »

Oui, le temps nous l’a mis sévèrement. Une orgie météorologique. Le pire c’est que j’ai aimé ? J’ai adoré !

Le GR20 est mythique, je sais pourquoi maintenant.

Il faut le faire pour comprendre, il faut y faire son aventure.

Chaque grande randonné est unique, mais cette expédition-ci a quand même quelque chose de plus. De vraiment plus.

Le GR20 a une âme vraiment présente, presque physiquement palpable.

« Hein ? »

Je ne vais pas tout poucave non plus !

Tu sais ce qu’il te reste à faire.

Va le découvrir.

Peu importe comment t’y vas et comment tu la fais cette rando, comme au Macdo, vas-y comme t’es.

Ose !

Diantre, c’était une de mes plus belles aventures!

Tu comprendras ou pas, mais étrangement, sans faire le type trop spirituel, je pense qu’après cette épopée, comme la communauté de l’anneau, nous sommes liés par un lien mystique, une sorte de fraternité, bâtie sur l’effort commun, coulée dans la lutte, forgée dans le dépassement de nous même et à vie, gravée dans mon cœur, tous les 5.

« Tous les 5 ? »

Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et moi.

Ça c’est avant: Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et moi. Chapitre 10- Du côté négatif de la Force, good bye my lover.

10 Replies to “Le Kid, le Moine, l’Ami, le GR20 et moi. Chapitre 11 mais aussi le 12 – Finissons ce que nous avons commencé. « Par la force de notre Mental ancestral!»”

  1. Super! J’ai adoré ton feuilleton.Mon fils, le KID, dont je suis tellement fière en lisant ton histoire. On a une petite idée ce que c’est le GR 20 . Bravo .

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    1. Merci beaucoup. Vous pouvez être fière, votre fils est une machine, un moteur de groupe et un gars en or. Je fais une nouvelle aventure avec lui quand il veut! Merci encore.

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  2. Hello,

    J’errai dans la galaxie blog de voyage autour du monde. Bah oui je suis en train d’oser (départ 16 août, 10 mois en famille).
    Paumé dans les limbes des articles sur le choix des assurances et des sacs à dos, j’avais besoin d’un second souffle, de motivation, du jus.

    De One Chaï en Vie-nomade, à moins que ça ne soit par Capitaine Rémi, me voila atterrissant chez toi.

    Enfoiré, hier soir tu m’as fait chialer devant ma femme.

    Et puis la, j’essaie de relire un article au boulot, au milieu de l’open space, et c’est reparti.
    J’essaie de cacher mes spasmes dans une fausse toux.
    Encore trois lignes, et mes collègues m’envoient à l’infirmerie.
    Je fais une pause, ou je me fais licencier avant mon congé sabbatique.

    Je me fais 2 articles du GR20, et la même pas je réfléchis, je m’inscris illico.

    Je suis conquis par les textes.
    C’est du kiff en barres, de l’émotion coupée à la vitamine, arrosée de guronsan.
    Ça ferai remarcher ma mémé (si elle pouvait lire).

    Bien cordialement

    Manu

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  3. Salut Manu, merci beaucoup. Ton commentaire me fait très plaisir! Si ca te fait rire, j’ai un peu réussi.
    Je suis maintenant ton projet, qui a l’air tellement bien! Enfin, je ne suis pas ton projet, enfin si je le suis, du verbe suivre, je veux dire que moi, je ne me suis pas transforme en projet, enfin, je… Bon j’espère que tu m’as compris! 🙂 A plus tard.

    Cordialement.

    Y.

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  4. Putain. Ouais j’suis vulgaire mais j’assume.
    Toi qui d’habitude m’a plutôt (non, pas Pluto le chien roh) fait rire, bah tu m’as fait pleurer avec ton arrivée et ton Ami là… Non mais ça va, j’ai versé une larme, j’ai pas trempé mes yeux ni fait couler la morve non plus, oh ! Je ne sais pas si c’est parce que je connais Rémi mais j’ai presque l’impression de ressentir sa peine, sa douleur, enfin tout « ça » quoi… Tu m’diras, en te lisant, j’ai presque l’impression d’avoir fait un peu ta connaissance aussi. Enchantée. Oui c’est bon, ça va, j’ai bien lu que t’as une meuf, tranquille… Emile… 😉
    Putain (ouais, encore, j’ai du rab, t’en veux ? Mais non, pas de l’arabe, tu comprends rien…), quelle aventure !
    J’ai envie d’y aller, moi aussi, là, maintenant, tout de suite ! Peut-être même que ce serait le truc à faire avec mon (futur) mec pour voir si ça peut coller ou plutôt décoller entre nous…
    Bref, merci d’avoir partagé tout ça. C’est un plaisir de te lire, j’te l’ai déjà dit mais j’m’en fout, j’répète si j’ai envie.
    J’espère te croiser un de ces jours, peut-être sur le GR20, qui sait ? Ça y est, la meuf s’y voit déjà…
    À bientôt ! 🙂

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    1. 🙂 Non, t’as pas pleure! Oh oui c’était une aventure! Nom d’une pipe! Si tu dois faire le GR20? Tu ne dois plus te poser la question! Tu dois le faire! Voila c’est obligatoire désormais.

      Merci, si ca t’as fait plaisir de me lire, ca me fait plaisir. C’est gratifiant le message que tu me laisses. Oui, on se croisera surement! sur le GR20 ou ailleurs! A plus tard!

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    1. Merci beaucoup! Il est drôle mon récit? Ouais, bah j’arrête d’essayer d’écrire des trucs dramatiques. 🙂 Je suis pour un long moment en Corse, on s’y croisera peut être, peut être sur le gr20. Enfin, c’est grand quand meme. Sud Nord ou Nord sud? Quand en aout? On pourra partager une amande… Je vais continuer a écrire parce que ca me fait très plaisir ce que tu m’as dit. Merci.

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  5. Déjà nostalgique de mon GR20 du mois dernier, je tombe sur ton récit que je me suis envoyée d’une traite sur ma pause dej. Merci! Super texte, super aventure. Mon GR20 était très différent mais plein d’émotions aussi et de rencontres improbables!

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    1. Merci de ton commentaire. Chaque GR20 est différent mais inoubliable! Oui, je suis tellement nostalgique aussi! À tel point qu’avec un ami, Rémi, nous allons bientôt publier un livre sur notre récit du GR20! Très bientôt!

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